Il faut ranger. Ranquoi? [libre]

/Je m'incruste^^/

Spike avait la fâcheuse habitude de toujours fourrer son museau où il fallait pas. Cette fois-ci, ça avait été dans un nid d'abeille. Heureusement, je peux vous affirmer avec certitude qu'il ne s'y retentera plus jamais. Je ne parle pas du tout le langage des chiens, mais je suis sûre que ce fut une expérience très douloureuse.

La douleur était passée et j'avais réussi à lui retirer presque tous les dards. Par contre, sa truffe avait quasiment doublé de volume et avait pris une teinte inquiétante. J'avais donc décidé de me rendre à la bibliothèque pour trouver un livre sur les chiens qui contiendrait, par miracle, quelques trucs pour contrecarrer l'inflammation due à une rencontre avec un troupeau d'abeilles.

Debout au centre d'une allée, les yeux fermés, j'essayai d'utiliser mes visions pour trouver ce que je cherchai. Pas facile. Je ne contrôlai bien la voyance que pour des trucs importants.

Un vacarme monstrueux m'extirpa du monde bleuté de la voyance. Je poussai un cri de surprise en revenant à moi, puis regardai partout dans l'espoir de savoir ce qui se passait. De l'autre côté de la bibliothèque provenaient des hurlements de rage. L'heure semblait grave. Je songeai pendant un instant à déguerpir comme quelques autres élèves, croyant à une attaque ou quelque chose dans le genre. C'est alors que je vis la bibliothécaire sortir des rayons. Le terme "furieuse" semblait plutôt léger pour la décrire. Elle était carrément hors d'elle. Je me retenai de pouffer de rire. Pour être venue plusieurs fois ici, je savais qu'il ne fallait pas grand chose à cette femme pour péter les plombs.

Curieuse malgré tout de savoir ce qui s'était produit, je me dirigeai vers l'autre côté de la bibliothèque, où une étagère avait été renversée. Je regardai, surprise, les livres étendus pêle-mêle sur le sol. Au centre du carnage, il y avait une chaise. Et sur cette chaise, il y avait un Karasu complètement découragé.

Je m'approchai.

- C'est l'Apocalypse, ici, ou quoi? demandai-je à la blague, avec un petit sourire en coin.

Karasu sembla effrayé en me voyant arriver. Je ne m'en formalisai pas. Avec le savon que venait de lui passer la bilbiothécaire, n'importe qui aurait été un peu sur les nerfs.

Il me raconta toute l'affaire, gêné. Je tentai sans succès de garder mon sérieux en écoutant son histoire, qui était plutôt comique. Je me mordis les lèvres afin de réprimer un sourire amusé. Il toussota et j'en profitai pour me racler la gorge, essayant de ne pas éclater de rire.

Karasu termina en avouant ne pas savoir lire l'écriture occidentale. Le pauvre, et il devait tout reclasser! Je lui jetai un regard compatissant.

- Eh bien! T'as pas fini.

Il me sourit avant de me demander comment ça allait. Je lui rendis son sourire.

- Super! Et toi? Quoique, en ce moment, j'en ai une petite idée, dis-je en désigna de la main le massacre littéraire sur le plancher. Tu veux un coup de main?

Le nez de Spike pouvait attendre, d'autant plus qu'il dormait comme un loir, en ce moment. Ce matin, il avait tellement couru partout en hurlant pour se sauver des abeilles qu'il était exténué et, sitôt la douleur passée, il s'était écroulé sur son coussin pour une longue sieste.

La tête de Karasu me fit éclater de rire.

- Bien sûr! Ça ira beaucoup plus vite à deux... Surtout s'il y en a un qui comprend l'écriture occidentale, ajoutai-je avec un petit sourire compatissant.

Il me demanda ensuite si je n'avais pas déjà quelque chose à faire. Je secouai la tête.

- Nan, ça peut attendre, t'inquiètes.

J'enjambai un amas de livres pour rejoindre Karasu au milieu du carnage. Les mains sur les hanches, je soupirai. Il y en avait... beaucoup.

- Bon... faut tout classer en ordre alphabétique?

Pfiouh! S'il fallait tout classer en plus, faudrait pas traîner.

- Va falloir s'y mettre, alors.

Karasu se mis à faire des piles de livres, de sorte que je pouvais les prendre plus facilement. Je trouvai l'idée très bonne. Je me mis donc à remettre les ouvrages un par un sur l'étagère. Heureusement, il y avait des petits panneaux sur chaque tablette indiquant «A à C», «D à E» etc. Le travail s'annonçait un peu moins pénible que prévu, grâce à cela.

Karasu me posa une question, à savoir: combien de langues je parlais.

- En fait, deux: l'anglais et le français. Par contre, ça fait longtemps que j'ai pas parlé ce dernier. Et toi?

J'eu un petit sourire en voyant sa grimace, puis continuai à classer les livres en silence. Je tombai sur un ouvrage intitulé "La cuisine atomique de tante Hortense". Je le fixai un cours moment en me demandant qui pourrait bien lire un truc pareil.

Karasu enchaîna en me demandant des nouvelles de mes pouvoirs, en particulier en ce qui concernait la marche sur l'eau. Je hochai la tête en rangeant tante Hortense à sa place sur l'étagère.

- Parfaitement. On dirait que j'ai fait ça toute ma vie, dis-je en riant. Je contrôle aussi mieux la voyance, mais seulement lorsqu'il s'agit d'événements importants. Pour ce qui est de la glace, c'est une autre histoire. Pour l'instant, j'arrive à peine à geler de petits objets... Et toi? Tu t'en sors, avec tes pouvoirs de Master?

Je l'écoutais avec intérêt. Lorsqu'il parla de ses transformations, le souvenir de notre première rencontre, lorsqu'il s'était tranformé en corbeau, me revint en mémoire et je laissai échapper un petit sourire. Puis, mes yeux s'agrandirent lorsqu'il affirma pouvoir inverser le courant d'un cascade.

- Et ben, ça alors!

Je savais pas que c'était possible. Karasu me demanda ensuite s'il était vrai que les Voyants pouvaient voir le passé. Je hochai la tête.

- Ouais. Il est possible de voir le passé, le présent et le futur. Le problème, c'est de les différencier les uns des autres. Les différences sont tellement subtiles que j'y arrive presque jamais.

Fallait vraiment que je travaille à ce niveau-là...

Je replaçai le fascinant ouvrage "Vous et votre poisson rouge" à sa place. En jetant un coup d'oeil à nos pieds, je me rendis compte que la pile avait un peu diminué, mais pas autant que je ne l'aurai espéré. Je continuai à classer les livres, pensive.

- Dis.. euh. Je me demandais un truc... Ton nom de Master, Karasu, ça a une signification?

La question me trottait dans la tête depuis ma première rencontre avec Akira version Master.

- Mais si c'est personnel, je comprends, hein! m'empressai-je d'ajouter. J'veux pas être indiscrète...

Je hochai la tête à sa question.

- Exactement. Pour ce qui est du présent et du passé, tu peux voir absolument tout. Par contre, pour le futur, il y a des limites. Le futur rapproché est facile à voir, mais à plus long terme, ça devient impossible. Cet avenir-là dépend de trop de choses qui ne se sont pas encore produites pour être prédit.

Je fus un peu soulagée que ma question ne l'ait pas dérangé. Lorsqu'il m'avoua que son nom signifiait Corbeau, je fus un peu surprise. J'avais songé, plus tôt, à cette première rencontre où il avait pris la forme de cet animal. Coïncidence? Vision? Aucune idée. Plus mes pouvoirs se développaient, moins je croyais au hasard. Ça faisait peur, quand même.

Je lui souris, songeuse.

- Cool! Ça te vas bien, en tout cas!

J'éclatai de rire.

- Oui! Et j'en suis plutôt fière. J'ai l'impression de... d'être vraiment moi.

Himienaï m'avait dit qu'on se trouvait nous-même lorsqu'on devenait Master. Moi, j'avais l'impression que ça m'était arrivé en passant au rang d'Étoile.
Mes yeux furent attirés par un mouvement non loin. La bilbiothécaire s'était levée et se dirigeait vers nous.

- Oh oh, j'crois qu'il y a la dame qui vient vérifier si tu fais ton travail.

Je ne savais pas si je devais me cacher ou si elle accepterait que je donne un coup de main à Karasu.

Je tentai de faire comme si de rien était, comme si je cherchais quelque chose. Karasu, lui, essaya d'avoir l'air de travailler à reclasser les livres.

Nous somme de mauvais comédiens, faut croire. Elle n'y a pas cru une seconde.

Je fus tout de même soulagée lorsque la bibliothécaire, non sans mauvaise humeur, nous donna congé. J'imitai Karasu, remerciant timidement la femme. Puis, Karasu me demanda si je venais ou si je restais là. J'allais me faire prier, tiens!

- Qu'est-ce que tu crois? Je préfère m'éclipser avant qu'elle ne change d'idée, chuchotai-je avec un sourire.

Je suivis Karasu plus loin. C'est en parcourant les allées que je m'arrêtai devant une étagère, sentant que mes pouvoirs de voyante voulaient m'avertir. Je regardai un peu et trouvai pile le livre que je cherchais. La voyance, c'est chiant, mais bon sang que ça peut être utile, parfois! Le nez de Spike était sauvé.

Je dis au revoir à Karasu. Ces mots sonnèrent étrangement lorsque je les dis. J'eu la certitude, à cet instant, que je ne reverrai jamais. Une sorte de boule se forma dans ma gorge, mais je ne laissai rien paraître. Nous partîmes chacun de notre côté.

De retour à ma chambre, j'ai soigné Spike grâce aux bon conseils prescrits par le livre "Les premiers soins pour votre chien". Après quoi, j'ai tenté de voir l'avenir de Karasu, de savoir ce qui allait arriver.

Je ne pu voir qu'un corbeau voltigeant dans le ciel, libre et heureux.