Je Te Promets ... [privé]

La dernière de mes larmes s'était tarie avec l'aurore, comme je l'avais promis. Avais-je fait mon deuil ? Cela faisait des années que je l'attendais, le devais-je désormais à son départ ? Je ne savais pas. Ma tristesse sans fin m'avait quitté, seule restait une douce mélancolie.
Au final, Alia, avais-tu pris mon cœur ? En mourant, tu me l'avais sans doute rendu mais je l'avais refusé. En mourant, tu avais voulu te blottir contre moi, âme contre âme, rester en moi sous la forme d'images, de souvenirs doux, et j'avais fait de toi une chimère à poursuivre.
Alia, Alia, je t'aime, je t'aime mais tu es partie. Et pour rien au monde tu ne reviendrais, parce que je sais que désormais, où que tu sois, tu es heureuse.

J'entre dans la salle de musique. Je savais où Storm était partie, les battements de son coeur ayant dormi sur le piano toute la nuit, et s'envolent désormais à travers les touches noires et blanches.
Un voix, un coeur. Différents et pourtant similaires. L'aube se lève, mon zénith est mort.
Et pour moi l'aube qui perce la nuit est des plus lumineuses.

Le refrain s'amorce alors que j'entre dans la salle -elle ne me voit pas. Lentement, en silence, je passe derrière elle, saisis l'étui de mon violon qui dormait sur une étagère à l'abri des regards. J'attends le deuxième couplet, et lorsqu'il s'élance, le son de mon violon de mêle à celui du piano. Nos doigts entrelacés font naître une mélodie pure tissée pour sa voix. J'ai les yeux clos.
J'ai les yeux clos et j'oublie tout.

Je gardai les yeux clos, le violon sur mon épaule, mon bras tenant l'archet comme suspendu dans le vide. Mon bras retomba, mes paupières restèrent fermées, mon menton posé contre le bois.
Au bout de quelques instants, j'ouvris les yeux, regardant l'aube dehors qui se levait, l'aube dedans qui ne bougeait pas. J'adressai à cette dernière un pâle sourire, un peu faible, mais sincère.

- J'ai arrêté de pleurer, soufflai-je.

L'air qu'elle déplaça en se décalant imperceptiblement sur son tabouret m'alerta avec douceur de son mouvement invisible. J'eus un petit sourire et m'assis à ses côtés, dos à elle cependant. Je regardai par la fenêtre le jour qui se levait, mon violon toujours en main.

- Je pense que je vais mieux. Et pour le moment, ça m'est suffisant.

Je tentai un autre faible sourire, les yeux clos.

- La meilleure des choses qu'il me reste à faire est de réapprendre à vivre... J'ai oublié comment faire depuis trop longtemps.

Je secouai doucement la tête.

- J'ai déjà suffisamment de monde dans ma tête pour ça, de l'aide de l'extérieur serait un peu trop oppressante, et ma démarche manquerait de naturel. Mais merci pour ton aide... C'est cependant un chemin que je ferai seul.

J'ouvris les yeux, mon regard perdu au loin.

- Ta présence ... celle des autres ... Me sera précieuse. Tu verras, je vais réapprendre à rire, sourire, sortir ... Qui sait, je vais peut être réussir à penser à l'âme soeur, ris-je doucement.

Mais qui ? Personne ne me venait à l'esprit, mon esprit que je pensais si neuf, reconstruit par la douceur d'Alia désormais loin de moi. Celle qui m'était la plus précieuse et la plus proche avait toujours été dans les bras d'un autre ... Et cela ne changeait pas. Un soupir, entre de la dérision pour ma situation et un peu de désespoir m'échappa; j'étais condamné à rester seul quelques temps encore.

Je me tournai pour la première fois vers elle, sonné, cherchant à comprendre son geste, cherchant à comprendre ces mots si froids, et renonçant finalement à trouver pourquoi. Je l'avais blessée, pour qu'elle réagisse ainsi... Je me tournai sur le siège pour me retrouver face aux touches du piano, du côté des aigus. La peau rougie de ma joue s'était soignée d'elle même, bien que seul mon ego ait été réellement meurtri.
De la main droite, je fis valser une petite mélodie sur les touches, mélodie que j'interrompis au bout de quelques secondes. Je laissai ma main sur le clavier quelques secondes sans rien faire.

- Je ne te comprends pas, soufflai-je. Tu es sans doute mal placée, oui, sans doute, je dois t'ennuyer, car ces problèmes ne t'atteignent pas, toi qui es heureuse... Mais aurais-je alors mérité une gifle, si je t'avais seulement ennuyée ? Dans ce cas-là tu m'en vois navré.

Je fis venir ma main gauche sur le clavier également, cette dernière enrichissant la petite mélodie d'accords légers. La pièce s'emplit de la valse légère et lancinante, joyeuse et pesante à la fois. Je l'arrêtai ensuite, faisant peser le silence avec plus de force.

Je marquai un léger arrêt en entendant ce qu'elle me disait, fixant les touches du piano sans les voir. Ainsi donc je m'étais trompé. Je savais qu'il aimait Electra. Mais le savoir avec Storm ne m'aurait pas étonné, étant donné leur amitié quasi fusionnelle. Un étrange sourire se dessina sur mes lèvres. Que me soufflait Alia ?... D'être heureux. Je fermai les yeux doucement, répondant aux graves de Storm par une valse, la continuité de ma petite mélodie de tout à l'heure.

- Je vois. Je pensais pourtant le contraire, soufflai-je toujours sans la regarder.

Je me détestais. Pourquoi ? Pourquoi étais-je si heureux maintenant ? Je n'avais pas le droit de l'être pourtant. Je n'avais pas le droit car elle ne l'était pas. Mais quelle était cette étrange chaleur qui envahissait mon cœur ? Pourquoi avais-je envie de sourire, pourquoi me sentais-je ... rassuré de m'être trompé ?
La raison était pourtant simple.
J'avais été jaloux à en mourir de cette situation. Celle qui, je le savais, avait toujours été amoureuse de moi semblait être heureuse avec un autre, et je ne pouvais le supporter. Celle qui avait tenté de me sortir de l'abîme, qui avait toujours été la lumière qui tentait de me guider s'était détournée de moi, et je ne pouvais le supporter.
Elle échappait à mon contrôle, elle échappait à ma raison, elle m'échappait, elle me filait entre les doigts, s'éloignait de moi et je ne pouvais le supporter.
Elle s'en allait, loin de moi, elle me laissait seul ...
Et au final ça me mettait hors de moi.
Je la voulais avec moi, contre moi, je la désirais et je voulais qu'elle m'appartienne.

C'était hors de mon contrôle.

Je me tournai vers elle avec un sourire doux qui démentait bien toutes les pensées qui tourbillonnaient dans mon esprit.

- Je te prie de m'excuser. J'imagine que je ne peux faire grand chose ...

Je la regardai sans rien dire passer la porte. Je l'avais fixée sans un mot, sans rien dire. Si j'avais voulu la retenir, son nom avait refusé de franchir la barrière de mes lèvres. Pourquoi l'aurais-je retenue ? Pour lui dire de rester, pour la faire souffrir encore ? de toute manière je n'étais bon qu'à ça.
Je laissai retomber la main que j'avais levée pour la retenir, qui tomba sur les touches du piano.

Je me levai du tabouret, sans un regard pour le piano que j'avais abandonné. Je repris mon violon, repris mon archet, regardai le jour qui avait fini par se lever, inspirai un grand coup et commençai à jouer. Un son doux et tendre, une mélodie lancinante et pure ... Une chanson d'amour à l'aube naissante.