Une rose parmi tant d'autre [Privé]

Il faisait encore nuit, mais je ne pouvais tout simplement pas rester éternellement cloîtrée dans ma chambre. Et surtout, je ne pouvais plus supporter ces cauchemars, plus réels les uns que les autres. Chaque fois je me réveillais, suffocante, les yeux écarquillés de terreur.
J'avais choisi la nuit pour sortir. Au moins, je pouvais espérer être tranquille et ressasser mes souvenirs quels qu'ils soient en paix.
Je devais toujours supporter mes maudites béquilles pour me déplacer, mais les mouvements de mes jambes étaient un peu plus coordonnées.
Dans la nuit noire, j'avais aperçu un bâtiment, où était apparemment cultivés de nombreuses fleurs. Je décidai d'y jeter un coup d'oeil. J'aperçu immédiatement les roses, d'un rouge ou d'un blanc vif, tout au fond de la serre. Je m'y rendai calmement, repensant à l'immense jardin de mon ancienne maison.
Je posai une béquille sur un pot vide à mes pieds et saisis délicatement une rose entre mes doigts.
Je sursautai lorsque j'entendis la porte de la serre s'ouvrir pour laisser entrer je ne sais qui... ou je ne sais quoi. Y avait-il des bêtes sauvages sur Terrae ?

Sans me retouner, je soupirai discrètement. Mon voeu ne serait pas exaucé. Je fis volte-face. Soyons polie, elle partira plus vite avec ce qu'elle est venue chercher.

- Non je viens d'arriver... Mais vous n'arrivez pas tôt non plus.

Je détachai mes doigts de la rose, et repris ma béquille. Je décidai de m'éloigner un peu plus vers le fond, là où les plantes étaient encore plus belles et nombreuses. Cet endroit était tellement grand. On pouvait presque s'y perdre. Qui s'en occupait d'ailleurs, de toutes ces fleurs ?
Cette fille avait une forte aura. C'était sûrement une Master. Ils dégageaient tous quelque chose de plus puissant que les autres.

Je l'entendis comme glisser derrière moi, un souffle d'air parmi les feuilles des arbres. Elle me suivait ?

- Du boulot, marmonnai-je.

Quel genre de boulot ?

-Une semaine. Je suppose que ce n'est pas votre cas.

Apparemment, ça ne servait à rien que je cherche à m'éloigner. Je me retournai, lui faisant face, à demi-cachée par des hortensias.

- Vous êtes ...

Elle était incroyablement belle. Légèrement différente des Masters qui arpentaient Terrae.

Je marquai une pause avant de lui répondre. Elle dégageait un je ne sais quoi de rassurant et de calmant... Contrairement à un autre Master bien connu sur Terrae, et qui semblait bien plus tourmenté. Je me rapprochai un peu d'elle, ne cherchant plus à me cacher parmi les feuilles des plantes environnantes.

- Norah Liefers, enchantée de vous connaître également.

Je décidai d'engager clairement la conversation. Au point où on était. D'autant plus que je pouvais pas fuir ou inventer un prétexte pour m'éclipser comme je le faisais habituellement à l'extérieur pour ne pas avoir à supporter de longues conversations barbantes à souhait.

- Vous cherchez quelque chose ?

Je fermai les yeux, m'imaginant un instant entièrement seule dans ce bel endroit. Je lui répondis, presque dans un murmure :

- Si.

C'était le genre d'endroit que j'aimais. Aussi paisible que plein de vie. J'ouvris les yeux, d'un seul coup, en entendant des oisillons piailler.

- On se croirait presque dans un autre monde.

Eloigné de toutes ces choses étranges qu'étaient les affinités... et les Hommes. Un monde à part. Je tournai la tête. Mon regard tomba sur des orchidées d'un blanc étincelant.

- Vous avez un métier ici ?

J'hésitai à prendre la fleur. Je la regardai longuement, cherchant un sens à ce geste, avant de la saisir doucement. Je la remerciai d'un signe de tête. Cette fleur ressemblait à un petit oiseau.

- Oui. Trois en tout. Kay Arashi, Akira... et Philos le directeur. Vous les connaissez tous ?

J'avais marqué une pause après Akira, cherchant son nom de famille avant de me souvenir qu'il n'en avait pas. Ou plus.
Je me demandai ce que faisais Storm de ses journées. Elle devait bien s'ennuyer quand même. Un an passé ici, elle devait tout connaître de Terrae. D'autant plus qu'elle était Master.

Je penchai légèrement la tête sur le côté.

- Vous êtes de l'affinité Air ?

Si elle avait été son élève, ça voulait donc dire qu'elle avait un talent similaire au sien.

- Vous avez un élève à votre tour ?

-Être maître ça s'apprend je pense.

Tout comme Master. On ne lui avait certainement pas donné de cours pour être un Master "crédible". Je ne trouvais pas qu'elle était agaçante... Pour l'instant en tout cas. A sa question, je fis non de la tête.

- J'attends de voir à mon initiation.

Et je n'étais pas bien pressée. Je ne voyais toujours pas ce que je pourrais faire avec la maîtrise d'un élément. Si j'avais accepté de venir à Terrae, c'était avant tout pour recommencer ma vie, dans un endroit où personne ne me connaîtrait ou ne me reconnaitrait.

- Vous saviez à l'avance pour votre affinité ?

J'eus un petit sursaut en entendant le mot "béquilles".

- Ah ça...

Je les regardais longuement avant de lui répondre :

- Accident de voiture.

Je lui épargnais les détails, que j'avais déjà exposé auparavant. J'étais décidée à ne plus ressasser tout ça. Il me fallait tourner la page et surtout, oublier. Sinon je n'y arriverai jamais. Pourtant... ces cauchemars, ces souvenirs ne manquaient pas une occasion pour survenir.
Si elle voulait des détails qu'elle les demande mais je ne voulais pas lâcher ça tel une bombe. J'étais bien ici et je ne voulais pas "bouleverser" la quiétude des lieux. Pas maintenant.
Mon regard se fixa sur une plante, dont les contours devinrent flous. Je ne la regardais pas vraiment. J'étais un peu perdue et je ne saurais dire pourquoi. Je crus voir, l'espace d'un instant, le visage d'Arika. Je fermai les yeux et reportai mon attention sur Storm. Je me rendis alors compte pourquoi je me sentais assez bien avec elle. C'était parce qu'elle avait cette même chevelure blonde qui tombait en cascade sur ses épaules, ce même regard...
J'espérais qu'il n'y aurait personne qui ressemblait à Hayato ici. Ce serait bien trop dur.

Je plissai légèrement les yeux, la remerciant silencieusement. Un jour viendrai, où peut-être, je considérerai ce moment de ma vie comme un passage. Ce jour, peut-être, je pourrai lui en parler. Je pourrais même lui parler du reste, avec simplicité, sans avoir peur d'être critiquée, sans avoir peur de représailles de quiconque. Je remarquai alors qu'elle s'était, à son tour rapprochée de moi. Elle se tenait à une distance "raisonnable". Je me sentais terriblement mal à l'aise lorsque les gens étaient trop près de moi, et je perdais un peu de mon assurance. Qui m'était essentiel pour paraître ne serait-ce qu'un instant plus forte que je ne l'étais.

- Je n'y manquerai pas.

Et peut-être qu'aussi elle regretterai d'avoir dit ça. Un courant d'air traversa le végétarium. Je regardai autour de moi, remarquant pour la première fois de grandes fenêtres ouvertes. Les plantes montaient jusqu'au plafond, ce qui semblait quasi impensable vu la hauteur de la salle.

- Qu'est-ce que vous allez faire de ces Lys ? fis-je en revenant à notre sujet de rencontre.

J'avais toujours son oiseau du paradis entre les doigts.

- Je vois.

Le moment de nous quitter approchait. J'étais assez heureuse d'avoir fait sa connaissance. A vrai dire, j'étais heureuse de rencontrer toutes les personnes d'ici qui se révélaient être des personnes entières qui se fichaient pas mal du regard des autres. Contrairement aux personnes que j'avais eu le malheur de rencontrer à l'extérieur.

- Rien. Pas pour l'instant en tout cas. Lorsque j'aurais une chambre à moi, je viendrai peut-être en cueillir pour la décorer. Pour l'instant elles sont bien plus heureuses là où elles sont.

Elles, au moins, n'avaient pas à se soucier des petits problèmes de la vie quotidienne. Je fis quelques pas en avant, vers la sortie.

- D'ailleurs je vais aller me coucher...

En passant à coté d'elle, je le regardai intensément dans les yeux.

- Merci... pour la fleur. Et à une prochaine, peut-être.

Si le temps le voulait. Si le hasard le voulait. Si je savais où la trouver si j'avais vraiment besoin d'elle.