Si je m'y attendais [Privé]

6h30

Qui pouvait bien être réveillé à une heure pareil ? Dans un endroit pareil surtout ? Et pour quoi faire ?
Je me le demandais. Je n'étais pas parvenue à fermer l'oeil de la nuit. Chose qui m'arrivait de plus en plus fréquemment ces temps-ci. Sûrement parce que j'utilisais autre chose que mes médicaments habituels. Ce n'était pas par choix. Bien au contraire. J'avais perdu pas mal de chose depuis la bataille.
La cafétéria était vide.Cependant, les plats étaient déjà préparés. Qui les faisait d'ailleurs ? Est-ce que ça faisait partie de la magie de Terrae ?
Je repérais une table dans un coin de la vaste pièce. Elle était isolée et on ne pourrais pas me voir si quelqu'un d'autre entrait. Je posai la petite boîte où reposait l'aiguille avec laquelle je m'injecterai l'adrénaline en cas de "problème". Je devais toujours être en alerte avec ça. Surveiller mon pouls.
Je ne savais pas ce que j'allais faire de cette journée, et avais emportée un sac avec un ou deux livres et quelques feuilles.
Je jetai un coup d'oeil par l'une des fenêtres. La neige tombait à gros flocons. C'était agréable.
Je me dirigeais vers les plateaux lorsque je cru entendre un bruit derrière moi.

Décidément, cet endroit était étrange. J'étais, si on y réfléchissait, le plus ancien occupant de cet endroit, et pourtant je n'avais jamais éprouvé, quel que soit le temps ou l'endroit, le besoin de déambuler dans les couloirs comme je le faisais depuis bientôt plus de 5 ans.
Depuis que Zane et Alia étaient revenus, je ne pouvais dormir, et mes marches se faisaient plus longues, toujours plus silencieuses et solitaires.
Alors pourquoi ici, pourquoi maintenant ?
Sans doute parce que j'avais quelque chose à accomplir au cours de ces pas, à cet endroit même. Une femme que personne ne connaissait vraiment m'avait dit, alors que j'étais entré dans sa boutique, que le hasard n'existait pas, que tout n'était, en ce bas-monde, que fatalité. Je ne l'avais pas compris, et elle m'avait juste laissé partir en me disant de toujours faire attention à l'ombre dans le cœur des hommes. Je ne l'avais pas compris ... Mais maintenant, c'était tellement plus clair. Tellement plus clair ...
La porte, en se refermant derrière moi, trahit ma présence en claquant doucement. Indifférent au bruit, j'entrai dans la cafeteria, mes pas faisant résonner leur ombre sur le carrelage froid de la grande pièce vide.
Moi qui pensais marcher seul je vis une jeune femme, une jeune femme que je connaissais. La voir sur ses deux jambes réchauffa quelque peu le courant d'air glacé de ma poitrine.
Je fis souffler un léger vent tiède entre nous.

- Bonjour Norah, résonna ma voix fatiguée dans l'immensité vide de la pièce blanche.

La légère brise fit doucement balancer la pointe de ma longue chevelure et le bas de ma longue robe blanche.
Sa voix était légèrement rauque et fatiguée. Une fatigue qui transparaissait aussi à travers sa marche, lourde, traînante.
Je baissais les yeux sur mes doigts froids posés sur la pile de plateaux.

- Bonjour Philos.

Je n'avais pas souvenir de lui avoir donné mon nom lors de notre première rencontre. Il l'avait sûrement entendu quelque part ou vu sur les nombreux documents que j'imaginais sur bureau. Je n'étais pas allée le voir après avoir recouvrer l'usage de mes jambes. J'avais toujours en tête ce qu'il avait fait pour moi et pourtant, pas une seule seconde, je n'avais songé à aller le voir dans son bureau. A cet instant je m'en voulu.

- On dirait bien que Morphée ne veut pas de vous non plus...

Je finis par me retourner. Mon regard glissa du blanc éclatant de la neige, qui s'étalait désormais à perte de vue, au verts fatigué de ses yeux.

- Vous avez l'air d'aller... Bien...

C'est vrai qu'il ne semblait pas au mieux de sa forme, même si je ne l'avais jamais vu au mieux je pense, mais après tout ce qui s'était passé, c'était pas mal pour le Directeur de cet Institut. J'avais du mal à croire qu'un mois était passé depuis la bataille.
Je passai mes mains derrière mon dos et pris discrètement mon pouls. La dernière fois, il ne s'était pas aperçu de ma maladie et je comptais bien continuer à le lui cacher comme à tout le monde.

Son geste attira mon attention quelques secondes à peine. Je détournai mon regard de ses mains, soucieux. Mon don ne me mentait pas ... Mais je préférais fermer les yeux pour le moment. J'encaissai sa suspicion sous-jacente avec un léger sourire en coin. (Sourire, masque qui comble avec tant d'efficacité les gouffres dans les yeux des hommes !...). Je choisis cependant de ne répondre qu'à sa première affirmation. Je préférais les constatations aux fausses affirmations ... Elles étaient tellement plus simples à esquiver.

- Cela fait longtemps que Morphée m'a abandonné hélas, dis-je en conservant ce même sourire.

Je marquai une pause, regardant sans émotion particulière la neige tomber par delà la vitre de la fenêtre. Je finis par me tourner vers elle, verrouillant mes prunelles aux siennes.

- Je suis heureux de te voir sur tes deux jambes ... Ainsi ton courage aura eu raison sur ta peur, dis-je assez pensivement.

A sa première réponse, je murmurai doucement, plus pour moi-même que pour lui en réalité :

- C'est triste à dire.

Un léger sourire flottait au coin de ses lèvres. Les sourires...tellement plus explicites que des mots. Sa réponse souleva une question dans ma tête : Pourquoi ?
A sa remarque, un micro-sourire apparut sur mon visage.

- On ne peut pas vraiment appeler ça du courage... Merci pour ce que vous avez fait...

Tandis qu'il commençait à devenir pensif, je me tournai et pris un plateau.

- C'est la faim qui vous a mené ici ?

Le plateau en main, je glissai jusqu'à une table de fruits, réfléchissant déjà à ce que je pouvais bien prendre.

Je ne répondis pas à son murmure qui, à vrai dire, ne m'était pas vraiment destiné. Ce fut sa deuxième phrase qui me fit réagir. J'eus un léger sourire.

- Je n'ai rien fait. Tout vient de toi, tu sais.

Sa deuxième question me força à porter mon regard sur elle qui se dirigeait vers un plat rempli de fruits. A sa question, j'haussai les épaules. Morphée m'avait abandonné, et mon dernier repas remontait à ... très longtemps. Je n'éprouvais plus la faim, mon don de guérison me permettant de subsister sans rien ingurgiter. Je fis cependant voleter une pomme jusqu'à moi, que j'attrapai de ma main, avant de la croquer.

- Pas vraiment, répondis-je après avoir mâchonné et avalé un petit bout du fruit.

Je la fixai.

- Et toi, Norah, qu'est-ce qui a bien pu t'amener ici ? La faim ?...

J'en doute ...

Je regardai la pomme voleter vers lui. Il faisait ça tellement naturellement...
Je levai un sourcil interrogateur à sa réponse. J'aurais bien aimé savoir ce qu'il faisait là, mais ce n'était pas vraiment une question qui se posait.
Je gardais les yeux baissés sur une coupole de fruits, hésitant faussement entre une clémentine et une orange. Je n'avais pas tellement faim mais puisque j'étais venue ici, autant faire illusion.

- Entre autre...

Je pris finalement une clémentine et la posai au centre du plateau. Passons à la boisson maintenant.

- Disons que je ne savais pas trop où aller...

Etonnant n'est-ce pas ? Terrae était immense et le seul endroit où j'avais pensé aller était la cafétéria qui pouvait se remplir d'un moment à l'autre à n'importe quelle heure de la journée...
Je me tournai vers lui et le regardai une nouvelle fois dans les yeux.

Un léger sourire étira mes lèvres à ses mots. Cependant, gêné par son regard, je référai me concentrai sur ma pomme que je mâchonnais avec application, une application presque fausse d'ailleurs. Sa dernière phrase m'arracha cependant un rire que je voulais doux mais qui sonnait faible.

- Et tu t'es retrouvée à la cafeteria ?... Étrange comme choix.

Je n'avais personnellement rien à dire de ce côté là. Moi qui ne faisais, depuis ces derniers jours, qu'errer au gré de mes envies et de mes cauchemars ...

Je souris doucement à sa réflexion. Un vrai sourire.
C'était peut-être... le destin qui l'avait voulu. Même si je n'étais pas très portée sur ce genre de chose, qu'on dise que notre avenir est déjà tout tracé. C'est une question de choix, réfléchi ou pas mais que chacun fait comme bon lui semble.
Je saisis une brique de jus d'orange devant moi, et me dirigeai vers une table derrière Philos, passant juste à côté.

- Vous comptez rester debout longtemps ?

Déjà qu'il était, enfin semblait, fatigué...

(hrp : vraiment désolé pour le retard, je suis impardonnable >.<)

La voir sourire réchauffa quelque peu le courant d'air qui circulait dans le trou béant de ma poitrine. Quand elle passa à mes côtés, je restait immobile, les yeux clos, goûtant à cet air qu'elle déplaçait parce que désormais, elle était sur ses deux jambes. Je me rendis soudain compte que le bonheur des autres était devenu comme un substitut au mien. Je vivais par procuration de bonheur; un sourire en coin, sans doute amer, se peignit sur mes lèvres.
Je fis disparaître ce sourire, me retournai, croquant de nouveau dans ma pomme sans aucun appétit. Après avoir avalé cette mince bouchée d'une pomme au goût acide, je m'assis en face d'elle en un souffle.

- Maintenant je viens de mettre fin au "longtemps", dis-je avec un sourire.

Je regardai par la fenêtre quelques instants, distrait par un mouvement dans l'invisible que j'étais le seul à vouloir percevoir. Je finis par tourner de nouveau la tête vers elle.

- Après l'endroit, l'heure. Ce n'est pas courant de voir des gens éveillés aussi tard... Ou devrais-je dire tôt ? Je en sais pas trop quelle heure il est mais tout ce que je sais c'est que le monde dort encore, dis-je avec un bref sourire.

[Hrp : Pas grave ! =D Je te pardonne (toujours aussi impardonnable ? =P)]

Je fis glisser le plateau sur la table, puis le fis tourner de sorte que lorsque je m'assis, je vis son dos.
Je profitai du fait qu'on ne se voyait pas pour réprimer un bâillement. Après avoir passé une main sur mon visage pour chasser cette soudaine accumulation de fatigue, je manquai de sursauter en le voyant assis face à moi. Je ne l'avais même pas senti venir. Je souris doucement à sa petite remarque, en baissant les yeux sur le fruit au milieu du plateau.
Alors qu'il levai les yeux vers une des fenêtre, je pris la clémentine entre mes doigts fins et enfonçai un ongle dans la peau.
Je restai aussi pensive que concentrée sur l'épluchage du fruit.
Je laissai une bande peau tomber, sans y faire attention, sur le plateau tandis que Philos terminait sa phrase.

- Il est presque 7 heures, fis-je rêveuse, le regard lointain.

Je reportai doucement mon attention sur Philos, remarquant à peine que j'étais plongée dans le vert de ses yeux.

- ça fait combien de temps que vous n'avez pas dormi ?

La question était sortie d'elle-même, mais elle était justifiée. Même si je l'avais écouté distraitement, il ne semblait plus tellement avoir de repère temporel et il me faisait penser à un somnambule, de part sa fatigue apparente, ses yeux ternes.
Et puis... il y avait comme une tristesse qui ne voulait pas le lâcher. Même si ce n'était pas aussi frappant que la dernière fois...

[hrp : c'est jouer sur les mots ça >.> =P]

- Sept heures, répétai-je, surpris. Je ne m'attendais pas à ce qu'il soit si tard, avouai-je en me passant une main dans les cheveux.

Lorsqu'elle me posa sa question, j'eus un bref sourire, aux consonances amères, sans doute.

- Je pourrais très bien te retourner la question, lui fis-je remarquer d'un geste du menton désignant ses cernes.

J'eus un petit soupir, regardant ma pomme qui ne me faisait plus du tout envie. Je finis par relever la tête avec un sourire d'excuse.

- Si on considère les nuits de moins de trois heures comme blanches ... Cela fait deux semaines.

Le début de l'attaque. Je n'avais pas dormi, réellement dormi, depuis. Étais-ce le fait d'avoir la femme au visage de celle qui hantait mes rêves dans la même Tour, de surcroît dans la chambre d'un autre ? Sans doute. J'aurais voulu m'arracher les tympans pour ne plus les entendre parler, rire. J'aurais voulu devenir fou pour ne plus m'imaginer leurs baisers.
Je fuyais ma chambre, je fuyais même mon bureau, j'essayais d'aller toujours plus loin, pour les éviter, pour éviter d'entendre leurs respirations paisibles alors qu'ils dormaient l'un contre l'autre ... Mais toujours, ma condition, mon fardeau, me hantait, pesait sur mes épaules.

- Au final, on n'échappe pas à ce que l'on est, soufflai-je doucement, de façon presque incompréhensible pour Norah.

Je secouai doucement la tête pour chasser ces pensées sombres, ce poison qui rongeait ma raison affaiblie par l'insomnie. J'étais condamné à porter le deuil d'un pur esprit, le visage d'Alia, ma Alia, souriant à un autre, faisant vivre son corps, ses mimiques similaires, ses intonations, sa voix.
Sa voix ... Mon coeur -ou ce qu'il en restait- se contracta dans ma poitrine. Je serrai mon poing quelques secondes pour me calmer, mes phalanges rendues blanches par la tension. Je relevai la tête vers Norah, mon poing se détendant petit à petit.

- A vrai dire j'ai bien envie de te retourner la question. Alors, record battu ? tentai-je avec un faible sourire après le spectacle pitoyable que je donnais sans doute.

Je regrettai presque d'avoir posé ma question. Je baissai les yeux sur le fruit entre mes doigts. Je le fis tourner lentement. Philos dégageait en cet instant même un souffrance qui me faisait mal aussi.
Deux semaines... C'était long. Très long. Trop long même. Je me demandai comment il pouvait faire bonne figure devant les autres élèves. Il avait un véritable "don" pour cacher les choses.
Je ne compris pas ce qu'il marmonnai et relevai les yeux, intriguée.
La clémentine glissa sur le plateau. Je ne cherchai pas à la rattraper.
Je la suivis des yeux jusqu'à voir le poing serrer de Philos. J'aurais voulu faire quelque chose pour lui. Quelque chose qui apaise sa douleur. Mais quoi ?
Je regardai son visage relevé quelques secondes. Le masque derrière lequel il semblait se chacer éternellement, s'effritait, petit à petit.
Je ne répondis pas à son sourire. Je rejetai la tête en arrière. La neige ne tombait plus. Elle montait. Le ciel était la terre, la terre était le ciel.
Mes longs cheveux caressaient le sol.

- Vous m'avez battu, c'est certain.

Je marquai une pause avant de continuer plus doucement, plus bas.

- ça a commencé à la fin de la bataille. Et c'est de pire en pire jusqu'à maintenant. J'ai...

Je me tus. J'en disais trop et ça ne servait à rien.
"J'ai peur"
Peur de mourir. Une crise pouvait survenir à tout moment, surtout pendant que je dormais. Et je ne voulais pas. Parce que je ne pouvais pas laisser Storm... Mes paupières qui avaient commencés à s'affaisser doucement, se rouvrir brusquement. Elle comptait pour moi. Enormément. Même si... Je ne devais surtout pas m'attacher comme ça.
Je soupirai.
Et puis, il n'y avait pas qu'elle.
Je me relevai et demandai d'une traite en reprenant mon souffle :

- Est-ce qu'il y a un téléphone ici ?

Je la regardai, pensif, me renvoyer mon sourire à la figure, puis se pencher en arrière. Je profitai qu'elle ne me voie pas pour froncer les sourcils. J'étais inquiet pour elle. Que devais-je faire ? Proposer de la soigner, au risque de la vexer ? La soigner sans qu'elle ne me voie ? Ne rien faire ?...
J'eus un léger sourire qui partit alors qu'elle se relevait. J'allais faire ce que je pouvais pour qu'elle ne se rende compte de rien. Il fallait pour ceci que nous restâmes le plus longtemps possible ensemble, de préférence assis, ce qui serait parfait. L'idéal aurait été un contact, même bref ... Mais le peu que je connaissais d'elle me faisait douter de sa réaction et de la probabilité d'un tel évènement.
Je commençais à la soigner à distante, petit à petit, tandis qu'elle me fixait. Je secouai doucement la tête pour répondre à sa question.

- Non, pas ici. Il y en a dans le hall de la Tour Argent, c'est tout.

Je laissai filer une légère pause avant de poursuivre.

- Si ce n'est pas indiscret ... Pourquoi ?

Je saisis d'un geste vif la clémentine à l'autre bout du plateau et finis de la découper avec les ongles.

- C'est pour... C'est...

Je n'arrivais même pas à trouver les mots alors que c'était si simple !

- J'aimerais juste entendre la voix d'une personne qui m'est chère, répondis-je finalement en levant les yeux vers lui.

Arika. Après l'accident, elle avait perdu son mutisme. Je ne savais pas comment ça avait pu être possible mais en tout cas, c'était l'une des plus belle chose qui pouvait lui arriver. J'imaginai sa voix, douce, chantante... Je voulais l'entendre, au moins une fois.
Je levai la clémentine à hauteur des yeux et hésitai à la manger.
Je respirai profondément, mes poumons me firent un peu mal et je me tortillai pour dégager cette "pression" que je sentais sur eux.
Je toussotai.

- Génial, marmonnai-je inaudiblement.

Mon coeur commençait à moins bien pomper le sang de mon corps. Je ne voulais pas avoir une crise maintenant. Je ne me voyais pas me lever brusquement devant Philos et aller m'injecter une dose d'adrénaline, ce qui me vaudrait à coup sûr des questions. Ma "couverture" serait fichue. Je regardai longuement Philos, cherchant quelque chose d'intelligent à lui dire...

Je hochai doucement la tête.

- Je comprends.

Et je comprenais. Entendre la voix d'une personne chère ... Je m'étais endormi de bonheur après avoir réussi à trouver un enregistrement du Murmure d'Alia. Je ne pouvais que la comprendre ... Mais ces temps de douce mélancolie étaient désormais révolus. Le passé me revenait de plein fouet, je je voyais cette voix prisonnière d'une âme autre que celle que j'avais aimée, dans le corps de celle que j'avais aimée.
La voir toussoter ne me surprit pas. je fronçai les sourcils. J'aurais aimé la soigner avant qu'elle ne fasse une crise.

- Norah ... Qu'est ce qui ne va pas ? lui demandai-je au bout de quelques secondes de silence. Je peux "sentir" d'ici que quelque chose ne va pas. Tu es sûre que tu pourras tenir le coup ? m'inquiétai-je en omettant volontairement le fait que, non seulement j'avais repéré son mal, mais je l'avais également identifié et j'étais en train d'essayer de le traiter.

Je le fixai longuement, les yeux grands ouverts. Qu'est-ce qu'il venait de dire ?

- De quoi vous...

Je fronçais les sourcils, sachant pertinament qu'il ne me servirait à rien de mentir.

- Philos, dis-je finalement avec résolution, Tenir le coup, je l'ai fait pendant dix-huit ans et ce n'est pas maintenant que ça va s'arrêter...

J'avais dit ça doucement, sans agressivité ni froideur et ça me surprenait. Je croyais savoir où il voulait en venir. Il me proposerait sûrement de me soigner. La réponse était non. Ce n'était pas un choix logique pour quelqu'un qui voulait vivre... Mais si je n'avais plus "ça", je n'avais plus rien. Plus de raison pour ne pas m'attacher, plus de raison pour expliquer mon comportement parfois froid, plus de raison d'être aussi égoïste... Et puis surtout, je ne pourrais plus Le rejoindre aussi vite que je l'aurais voulu.
Je soupirai, comme désemparée avant de dire simplement :

- Il y a bien d'autres personnes qui méritent votre attention. J'ai assez abusé de la vôtre...

Un micro-sourire détendit mes lèvres. Dès mon premier jour à Terrae, la première fois que je l'avais rencontré, il avait fait quelque chose pour moi et je ne tenais à m'engouffrer dans cette spirale où je devrais compter sur lui ou même quelqu'un d'autre. Je ne voulais pas être un parasite.

Je poussai un bref soupir et arrêtai finalement mes tentatives de soins. Je ne pouvais pas lui faire ça. Ma morale l'emportait sur ma raison, je préférais ne pas la soigner et respecter ce qu'elle voulait, je préférais la mettre en danger pour lui faire plaisir ... En un sens, j'étais plus que pitoyable. Philos, super héros ... Ce rôle m'allait vraiment mal, je n'arrivais plus à être bêtement gentil et naïf comme autrefois. Alia était revenue, Zane aussi, et au final je redevenais celui que j'avais toujours été. Oh, sans doute le même, la même personne, mais un peu plus amer, plus égoïste...
Je secouai cependant la tête.

- Tu sais, en un sens c'est mon rôle. Prendre soin de tout le monde ici, veiller sur vous ... Tu n'abuses pas de mon attention puisque c'est moi qui te la propose, souris-je.

Je me passai la main derrière la nuque.

- Et puis, tu sais, je n'aime pas trop les gens qui traînent un mal qui les ronge. Je n'aime pas voir ce mal en eux ... C'est une facette de mon don qui est assez agaçante ... Comme un instinct de médecin décuplé, ris-je doucement.

Je ne cherchai plus à soutenir son regard et baissai à nouveau les yeux sur la pauvre clémentine que je ne me décidai toujours pas à manger.

- Je suis désolée... murmurai-je.

Par égoïsme, je le faisais souffrir et je n'aimais pas ça non plus. Je n'aimais pas ce que je j'étais.
Je serrai les poings et relevai la tête, un sourire sur les lèvres.

- Vous faîtes beaucoup pour tout le monde mais...

Je pris une profonde et douloureuse inspiration.

- ... est-ce que quelqu'un fait quelque chose pour vous ?

Je voulais dire, pas quelque chose qu'une autre personne accpeterait de sa part et le satisferait, mais quelque chose comme... Je ne savais pas... l'écouter, partager même si ce sont des banalités, quelque chose qui le rendrait vraiment heureux et qui l'apaiserait véritablement.
Je repensai à Storm, qui semblait lui porter une profonde affection. Cela s'entendait.

Je secouai doucement la tête en entendant ses excuses, mais cependant ne m'y attardai pas, sa question étant bien étrange. Si sa question me surprit, ce ne fut pas parce que je n'y avais jamais réellement pensé, mais plutôt parce qu'un visage s'était imposé à moi naturellement. Douloureusement, aussi, un peu, sans que je sache vraiment pourquoi. Pourquoi tout ne devait être que douleur dans mon pauvre cœur malmené ?
Pourtant Elle savait autrefois m'apaiser. Mais si j'avais toujours cru qu'avec elle s'étaient évaporés mon bonheur, mon cœur. Et pourtant, cette douceur qui avait marqué nos moments ensoleillés par son rire, par son sourire et son regard, cette douceur revenait, m'était revenue alors même qu'Elle était partie pour toujours.
Parce que malgré tout, une lumière persistait à m'éclairer, à vouloir me réchauffer de tendresse. Cette lumière, plus froide et plus forte, moins douce et plus mélancolique, je ne savais qu'en penser. A vrai dire, y avais-je réellement réfléchi ? J'eus un bref soupir, et répondis finalement à Norah.

- Eh bien ... A ma surprise, oui. Oui, il y a bien quelqu'un ... Quelqu'un qui tente de faire pour moi ce que les autres jugent superflu... Un sourire, une discussion banale, un rien qui parfois adoucit quelque peu mes journées.

Je souris.

- Oui ... Oui, il y a quelqu'un désormais. Quelqu'un de formidable qui ne devrait pas, à vrai dire, s'entêter à vouloir rester avec quelqu'un comme moi, dis-je avec un sourire un peu plus amer.

Je souris, ravie que mes inquiétudes ne se révèlent pas exactes.
Cependant, mon sourire s'éteint quelque peu à sa seconde remarque. Je ne voyais pas où était son problème. "Quelqu'un comme moi" ?

- Vous êtes quelqu'un de très bien Philos. Et cette personne s'en est rendue compte.

Tandis que lui semblait s'obstiner à soutenir le contraire. Un nouveau sourire étira mes lèvres tandis que je me levais pour me diriger vers la table où j'avais laisser mes affaires. Je n'avais plus rien à cacvher maintenant qu'il avait tout découvert. Et je craignais de ne pas pouvoir tenir davantage.

- Vous m'excuserez mais là je crois que j'ai besoin de mon remontant, fis-je en gardant mon sourire.

Je chancelai jusqu'à la première table, avant de réussir à maintenir une bonne démarche.
Je me laissai tomber sur une chaise une fois arrivée à destination. Je respirai douloureusement, sentant petit à petit mes membres s'engourdirent.

Son compliment me fit plaisir, et je l'acceptai avec un léger sourire. Cependant, la voir ainsi, faible, me faisait de la peine et je la suivis du regard, soucieux.
Je finis par me lever, pour me poser en face d'elle. Je me penchai doucement en avant, pour souffler :

- Non pas que je veuille me rendre détestable, mais ... Tu as besoin de quoi que ce soit ? Tu en m'as pas l'air en état de marcher...

Je m'éloignai d'elle, me redressant, pour ajouter, regardant de nouveau par delà la fenêtre qui s'était éloignée :

- Si je peux faire quoi que ce soit, n'hésite pas. Ça m'aidera à me sentir utile, ajoutai-je avec un sourire.

Je suivis son regard jusqu'à la fenêtre. Il avait cesser de neiger. Sa voix me semblait lointaine bien que j'entendis tout distinctement.
Incapable de me maintenir, je posai ma joue contre la table froide et répondis doucement à Philos :

- Si vous pouviez mettre l'adrénaline dans la seringue, ce serait très utile de votre part.

Je souris faiblement, ou du moins tentai bien que je ne sois pas certaine du résultat. D'un simple mouvement du menton suivi de mon regard, je désignai mon sac sur la chaise en face de moi dès qu'il me regarda.

Je vis qu'elle me désignait son sac, aussi m'en saisis-je pour y trouver finalement une dose d'adrénaline et la dite seringue. Je mis la substance dans la seringue d'une main experte, testai l'embout et reposai le flacon désormais vide sur la table. Je m'approchai de Norah, ma seringue dans la main.
Je repérai soudain dans le creux de son coude de légères marques, conséquences de ses précédentes piqûres sans doute. Je ne montrai rien, mais mon inquiétude augmenta quelque peu à son égard.
Je m'approchai d'elle, elle et son teint si pâle, elle est son regard fiévreux, elle et toute sa douleur contenue.

- Tu veux que je m'en occupe ?... soufflai-je.

Je le regardai faire, rassurée. Il semblait savoir s'y prendre. Je fermai les yeux, prête à tout. Une énième piqûre et tout ira mieux. Encore une fois.

- Oui...

J'inspirai le plus profondément qu'il m'était possible de faire et attendis, tandis que le froid s'emparait encore une fois de moi. J'avais l'habitude de cette sensation et elle me semblait normal. J'avais fini par me dire que si cette sensation changeait, ce serait vraiment la dernière fois.